le marathon
perfection
Le soleil perce derrière les collines qui entourent Carmel. L’Amérique des millionnaires s’éveille sur un dimanche chaud et ensoleillé. A 6h35, dix minutes avant
le départ, un pasteur marathonien monte sur l’estrade et récite une prière drôle et émouvante. Aucun bruit dans le Corral A. A 6h40, les marathoniens un peu frigorifiés se tournent vers le
drapeau américain. Ici, on chante l’hymne national. Silence dans les rangs. Une poignée de soldats postés ici pour assurer la logistique est au garde à vous.
Only in America ! Big Sur se court sans le moindre regard au chronomètre. L’océan Pacifique se devine après quelques miles. Le brouillard cache encore les criques. On voudrait se pencher pour
mieux se rapprocher de l’élément marin. Bavard, le meneur d’allure des 3h30 traîne dans son sillage une cinquantaine de runers. Il tient à la main deux petits ballons rabougris. Voilà un truc
que les Français pourraient apprendre aux gens de Big Sur : rendre les ‘pacer markers’ vraiment visibles !
Créé au milieu des années 80 par un juge fraîchement installé dans la région, ce marathon est désormais un must absolu pour une majorité de runners américains. Au point qu’il constitue une
étape obligée dans les palmarès avec Boston et New York. Les quelques milliers de privilégiés qui prennent chaque année le départ sont chouchoutés par une organisation bluffante d’efficacité.
Il faut dire qu’aucun marathon européen de cette taille (moins de 5 000 dossards) ne dispose d’une voilure aussi imposante en terme de sponsoring.
Les kilomètres filent vite lorsque le regard est à ce point occupé à déchiffrer l’horizon. Pas de spectateurs pour bloquer la vue : les marathoniens sont seuls avec les éléments. Chaque mile
ou presque, un ravitaillement propose de petits gobelets en papier remplis d’eau ou de boisson vitaminée. Comme partout ailleurs, les volontaires – comme on les baptise ici – font preuve
d’une incroyable patience et disponibilité. De vastes poubelles sont installées ensuite sur plusieurs dizaines de mètres. Big Sur suggère une pratique écolo du running. Tout est fait ici pour
responsabiliser, à l’américaine, sur la nécessité d’une attitude vraiment citoyenne.
Courir sur la HWAY One, cette autoroute empruntée chaque année par des dizaines de milliers d’automobilistes désireux de toucher au plus près la Californie libertaire et friquée, est un
cadeau. Pas question de le brader. Des grappes de ‘marshalls’ à vélo s’assurent que rien ne vient perturber l’effort des coureurs. Régulièrement, de jolies jeunes filles annoncent,
chronomètres à la main, le temps prévu à l’arrivée. Comment dire ? On voudrait que l’arrivée ne vienne jamais…
On touche la finish line sans rien faire. Comme ça. Difficile de croire que 42,195km ont été courus. Il fait chaud. Carmel est tout à fait éveillé désormais. A l’arrivée, on sert les mains
gantées des directeurs de course soucieux de féliciter chaque runner. Et puis, quelques secondes plus tard, on embrasse la médaille. Big Sur ne fait rien comme ailleurs : la médaille est en
terre cuite ! Plus tard, assis dans le gazon, le runner de Paris fouille sa mémoire pour résumer ce qu’il vient de vivre. Il cherche longtemps. Et puis, il repense aux slows qu’il dansait
dans les années 70 avec Michelle, sa petite amie du conservatoire. Des slows qui finissaient toujours trop tôt…
Pascal Silvestre
http://runners.fr/big-sur-le-marathon-perfection/